La Rhétorique ?


fr_1026 : Jules Verne

Je vais vous faire un aveu : de ma vie, je n'ai jamais lu un seul roman de Jules Verne.


Ce ne sont que trois mots, je dis bien trois mots qui m'ont à jamais rendu hermétique à cette lecture. J'avais 12 ans lorsque l'on m'a offert 20000 lieues sous les mers que par hasard j'ouvris sur la phrase suivante :

" Diderot a très justement prétendu que le geste de l'homme est métaphorique, et ce petit homme en était certainement la preuve vivante. On sentait que dans son langage habituel, il devait prodiguer les prosopopées, les métonymies et les hypallages. "

Prosopopées, métonymies, hypallages ! J'ai refermé le livre et l'ai replacé dans la bibliothèque d'où il n'a plus bougé.
Pourtant j'avais tort... d'une part je me privais d'une lecture probablement passionnante à cet âge, d'autre part parce que je n'avais pas perçu la dimension poétique que la juxtaposition de ces trois mots donnait à la phrase : Prosopopées, métonymies, hypallages.. .trois mots qui étaient une invitation au voyage dans les arcanes de la rhétorique.
Pour vous faire partager mon enthousiasme pour cette poésie si particulière, j'ai choisi de vous commenter le discours d'un politologue

FRAGMENTS DU DISCOURS D'UN POLITOLOGUE

d'après Henry, l'Actualité Médicale du 22 mai 1991, Canada

" Dans une monarchie dictatoriale, on discutait un jour des avantages réciproques de la démocratie et de la Couronne (1). Le roi jugeait les politiciens (2) coupables... qui laissent pourrir la situation. C'est du propre!(3) Plus le moindre effort! Dans le laxisme général, les enfants ne savent plus marcher, ils prennent le bus (4) pour aller au ciné (5)... La haute finance (6) brûle du désir (7) de chevaucher (8) à elle seule l'économie du pays, ce qui risque de la mener (9) au ci-me-ti-ère (10) ... On me dira que cette collusion conduira à une collision (11) d'intérêts. On me dira que je confonds (12) conjoncture et conjecture. On me dira (13) que la connaissance de cette dernière est la panacée universelle (14) . Pourtant, moi, je ne dirai pas (15) qu'il s'agit là d'affirmations stupides sans fondement et incompétences. Enfin, disons que ces gens-là souffrent d'une " certaine " (16) carence dans leur formation économique, ce qui neutralise quelque peu la valeur de leurs opinions! Car telle est la clé (17) : exposer franchement le problème du chômage. Je m'arrête là et n'en dirai pas plus (18), car je ne veux pas allonger ces prolégomènes (19) jusqu'à la saint-glinglin (20) ...

Je conclurai cet exposé par une prolepse (rappelez-vous : " On me dira que... "), Vous pourriez me dire : mais où sont les syllepses, les antonomases, et les célèbres prosopopées et hypallages de Jules Verne que vous nous promettiez ? Et bien je les laisserai intacts dans leur pleine dimension poétique, encapsulés dans leur étymologie grecque ou latine où j'espère que vous prendrez autant de bonheur que moi à les y découvrir.

Décodage à l'usage des malentendants...

  1. métonymie : mot à la place d'un autre ayant le même rapport : royauté pour Couronne
  2. amphibologie : ambiguïté à cause du désordre des mots : seulement les politiciens ou tous les politiciens sont-ils coupables ?
  3. antiphrase : mot employé avec ironie en sens contraire propre pour pourriture!
  4. aphérèse : coupure du début du mot : bus au lieu d'autobus
  5. apocope : coupure de la fin du mot : ciné au lieu de cinématographe comme : métro, moto, stylo,..
    Quand le retranchement a lieu en milieu de phrase, il s'agit d'une syncope : gaîté au lieu de gaieté.
    Certaines personnes escamotent une ou deux syllabes dans leur prononciation, il s'agit alors d'une haplologie ou d'une hapaxépie comme murer pour murmurer.
  6. synecdoque : prendre le tout pour la partie ou l'inverse : haute finance pour les financiers
  7. métaphore :
  8. catachrèse: utilisation d'un mot dans un sens différent de son acception : chevaucher l'économie comme on dirait les pieds d'une table
  9. amphibologie : on ne sait pas si c'est la haute finance ou l'économie qui va au cimetière.
  10. diérèse : prononciation en détachant les syllabes comme ca-fe-tière. Le contraire consistant à prononcer le mot en une seule émission étant une synérèse : cim'tière, caf'tière.
  11. paronymes : mots rapprochés phonétiquement qu'ils prêtent à confusion : collusion, collision, conjoncture, conjecture dont la réunion donne une paronomase
  12. prolepse : il se fait à lui-même des objections que d'autres pourraient lui faire pour le détruire
  13. anaphore : répétition des termes pour renforcer le discours : on me dira
  14. périssologie pléonastique : panacée universelle comme on dit descendre en bas
  15. prétérition : feindre de ne pas dire ou révéler, tout en le disant : je ne prétends pas qu'ils sont stupides ou incompétents
  16. litote et euphémisme : on dit peu pour signifier beaucoup : une " certaine " carence
  17. polysémie : mot à plusieurs sens : clé du problème, clé de la porte, du mystère...
  18. tautologie : répétition des mêmes idées sous une autre forme
  19. prolégomènes : longs avant-propos, alors que le conférencier a surtout employé des métaphrases c'est-à-dire des termes plus simples
  20. calembour onomastique : basé sur un nom propre.



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