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Luc-Olivier Merson : Le Sacrifice à la Patrie
©RMN, Quecq d'Henripret, 1998 Le Sacrifice à la Patrie (1875). Musée des Beaux-Arts de Lille.Photogravure GILLOT, gravure de Ch. Goutzwiller Luc-Olivier Merson : Le Sacrifice à la Patrie - « BELLA MATRIBUS DETESTATA » (Réalisé à Rome en 1875). Le titre du tableau est inspiré d'un vers d'Horace : « Bellaque matribus detestata » (La guerre détestée des mères). Horace (livre I, ode I, v. 24) y parle des différentes carrières qui se présentent aux hommes : « Beaucoup aiment les camps, le son du clairon mêlé au bruit de la trompette, la guerre détestée des mères » « (...) Son envoi de dernière année fut cette « Bella matribus detestata », vaste composition inspirée par le désastre de 1870 et fort remarquée au Salon de 1875, d'un style très noble, par endroits un peu ampoulé, avec un goût marqué, qu'il conservera toute sa vie, pour ces belles draperies mouvementées que les Italiens ont tant aimées. Cette oeuvre offre des parties de premier ordre. L'émotion contenue dans la figure éplorée de la mère, la clarté et la grâce des figures allégoriques, le choix raffiné de leurs attributs, le balancement heureux des masses, contribuent à donner à cette page une tenue digne du sujet qui l'inspire. Tout y concourt, jusqu'à ce laurier déraciné et toujours vivant, symbole expressif d'une espérance que la défaite n'a pas abattue. Cette aisance à trouver le symbole à la fois clair et profond est une des caractéristiques de son Art ; non pas le symbole d'essence littéraire et qui nécessite une glose pour être compris, mais bien celui qui, revêtant une forme picturale, ajoute à la beauté de l'oeuvre en même temps qu'à sa clarté. Ce don particulier lui permettait aussi de donner aux idées les plus simples ce tour imprévu qui rendait sa conversation si séduisante. Par quels détours ce tableau arriva-t-il en Ecosse ? Je n'ai pu au juste le savoir. Toujours est-il que, lors d'une visite que je fis à Edimbourg, je découvris, dans le salon d'un hôtel, une toile qui me rappela cette composition que je connaissais fort bien; mais les dimensions étaient autres : d'oblong en largeur il était devenu oblong en hauteur. Il y manquait des figures. Il ne s'agissait pas là d'une réplique; encore moins d'une copie : la main de Merson se reconnaissait tout de suite. Renonçant à comprendre, j'allais quitter la place lorsque me retournant par hasard, j'aperçus, placé symétriquement en face, un autre panneau de même dimension que je reconnus vite pour le complément du premier. Le brave hôtelier écossais ayant hérité, je ne sais comment, de ce tableau ou l'ayant acquis, résolut d'on orner un salon de son établissement. Mais, ne disposant pas de l'emplacement nécessaire et ayant deux parois à décorer, il avait, sans malice, froidement tranché le tableau par le milieu. Comme le général d'opérette qui se consolait de voir son armée coupée en se disant que cet accident lui procurait deux armées au lieu d'une, notre homme se félicitait, sans doute, d'avoir trouvé le moyen de décorer, à peu de frais, les deux parois de sa salle. Les figures debout restaient à peu près intactes, mais le corps du jeune combattant, étendu sur le tombeau, était séparé, par le milieu, en deux parties. Personne, du reste, ne semblait prendre garde à cette mutilation. Merson lui-même, à qui je contais l'histoire se contenta de maudire l'hôtelier en termes congrus, pour la forme, et, souriant avec sa bonne humeur coutumière, il parla d'autre chose... Ce qui, de son travail, appartenait au passé ne l'intéressait plus. » Le salon de 1875 vu par Emile Zola« L'exposition annuelle de tableaux à Paris s'est ouverte le 1er mai au palais de l'Industrie, sur les Champs-Élysées. Les premières expositions de cette sorte en France eurent lieu sous Louis XIV et primitivement elles se renouvelaient à des intervalles irréguliers et espacés, tous les sept ou huit ans ; ce n'est que tout récemment que la possibilité a été donnée aux artistes d'exposer chaque année leurs oeuvres. Cette mesure est excellente sans doute, l'exposition devient souvent un véritable bazar, mais le bénéfice en est si grand pour tout le monde qu'on serait malvenu à déplorer la bousculade qui en résulte. (...) Je désire signaler ici un autre groupe de peintres, les symbolistes, dont les idées compliquées exigent tout un travail de tête avant qu'on les comprenne. Cette race d'artistes a la vie dure. M. Merson envoie chaque année des compositions énigmatiques, devant lesquelles la foule fait halte avec la mine ébahie d'un instituteur de village à qui on soumettrait un texte égyptien. Cette année son tableau est intitulé : Le Sacrifice à la patrie. Cela représente un jeune homme, pâle et joli comme une jeune fille, étendu mort sur une espèce d'autel ; une femme, ce doit être la mère, pleure en se tordant les mains, pendant que de grandes figures d'anges symbolisant sans doute l'héroïsme, le dévouement ou quelque chose de semblable, planent dans le fond. Tout ceci est peint en je ne sais quelles couleurs blanchâtres, je ne sais quels tons transparents grâce à quoi le tableau fait penser à une colossale image de paroissien. Rien de plus froid, de plus cadavéreux, de plus intolérable dans ses prétentions au sublime ! (...) » Emile Zola. Une Exposition de tableaux à Paris, le "Messager de l'Europe". juin 1875.
LE MONDE ILLUSTRE 1875LE SACRIFICE A LA PATRIEPAR M. LUC-OLIVIER MERSON « Le Sacrifice à la Patrie est une composition allégorique, ordonnée avec une simplicité grande et claire, peinte d'une touche légère, presque transparente, par juxtaposition de couleurs tendres qui démontre chez le jeune peintre des aptitudes réelles à la décoration murale. Devant le temple de la Gloire est étendu, sur l'autel de la Patrie, le cadavre du jeune héros tué par la guerre, que ne peuvent réveiller les cris lamenlables de sa mère en deuil, tendant encore vers lui ses bras crispés. A droite de l'autel, la Foi, paisiblement enveloppée dans une tunique sombre, tient à la main son calice d'or qu'elle élève vers le ciel; à gauche la Renommée aux ailes déployées, embouche sa longue trompette; sur le devant un petit génie tient dans ses bras un carlel où sunt ces mots: « Bella matribus detestata » Ce génie, avec son cartel doré, n'était pas absolument nécessaire à la composition; c'est un de ces charmants hors-d'œuvre, tout à fait, d'ailleurs, dans le goût du seizième siècle, qui sont mieux à leur place dans une fresque que dans un tableau. On se souvient que, dans ses premiers envois, M. Olivier Merson, ébloui par les Quattrocentisti, abusait volontiers de hors-d'œuvre de toute espèce dont ces maîtres, à la fois naïfs et maniérés, compliquaient leurs compositions. Il s'est arraché à peu près aux séductions de ce dilettantisme dangereux, souvent puéril; son goût s'est épuré, son style s'est agrandi en se simplifiant. Il est facile, sans doute, de trouver la filiation des figures du Sacrifice à la Patrie dans Raphaël, Mantegna ou Goltzius1; c'est une noble origine dont elles n'ont point à rougir, car elles la portent vaillamment, avec une généreuse indépendance qui nous tranquillise pour l'avenir. M. Olivier Merson expose, en outre, un Saint Michel, modèle de tàpisserie pour la salle des Évêques dans cette église Sainte-Geneviève qui va, comme le Campo-Santo de Pise, la chapelle Sixtine de Rome, le cloître de San Michele in Bosco à Bologne, la cathédrale de Crémone, servir de lice aux peintres contemporains. La destination de cette composition permettait, cette fois, à M. Luc Olivier Merson de s'abandonner librement à son goût pour les ajustements bizarres, les accessoires brillants, les enroulements compliqués de banderolles; il n'y a pas manqué, il a eu raison; car ce qui peut irriter l'œil dans la surface calme d'une fresque murale l'attire, au contraire, et le charme dans le tissu moelleux d'une tapisserie. En somme, les observations qu'on peut adresser à M. Olivier Merson prouvent au moins que ce peintre a un goût particulier dont il ne se départ pas et qui s'est de bonne heure manifesté chez lui, Mieux vaut aimcr à l'excès certains maîtres que n'en n'aimer aucun, mieux vaut pécher par ces entraînements d'une admiration soutenue, que n'admirer personne ou admirer tout le monde, tour à tour, à la légère. M. Merson est évidemment sincère dans sa façon de comprendre l'art en marchant toujours ainsi, droit devant lui, il développera peu à peu sa personnalité et il évitera ainsi le sort de quelques-uns de ses camarades, trop vite en quête des succès bruyants, qui, en voulant faire concurrence aux fabricants de tableautins parisiens, ont perdu les qualités sérieuses qu'ils avaient acquises à Rome sans trouver le secret des qualités légères dont on est friand à Paris... » (Revue de France.) GEORGES LAFENESTRE. 1 Hendrik ou Hendrick Goltz, connu sous la forme latinisée de son nom, Goltzius (1558 – 1er janvier 1617), est un dessinateur, peintre et graveur flamand. Ses gravures, très prisées, issues de ses propres dessins ou transposant les œuvres de ses contemporains, contribuèrent efficacement à la diffusion du maniérisme en Europe.  |