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Luc Olivier Merson, Une noble vie d'artiste par Adolphe Giraldon
par ADOLPHE GIRALDON, Imprimeurs Frazier-Soye, A. Porcabeuf, PARIS 1929
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C'était, vraiment, la ville unique, le lieu consacré, le temple de l'Art,
où pouvaient s'épanouir, dans la paix et dans la joie, les aspirations les plus hautes.
Quelle plus séduisante récompense offrir aux efforts de la jeunesse?
Dans ce cadre merveilleux, la Villa Médicis se dresse comme une Mecque que,
seuls, de rares élus peuvent atteindre.
Quatre années, presque une existence, à cet âge! Quatre années de vie matérielle assurée,
sans soucis, sans basses préoccupations. Au milieu de camarades, tous artistes, pleins
d'enthousiasme et déjà experts en leur art: peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et
musiciens, ils vont, désormais, mener une existence uniquement consacrée à l'étude, au travail, à
la réalisation de leur idéal. Aucun règlement ne limite leur désir. Ce n'est pas la salutaire
contrainte de quelques travaux imposés qui pourra jamais retenir l'élan d'un artiste vraiment doué.
L'existence, à l'époque où se place ce récit, était autre qu'aujourd'hui,
c'est certain. La lutte était moins âpre, les besoins moins impérieux,
l'effort moins redouté, la mode moins tyrannique et
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moins capricieuse. Il y avait, dans l'air, moins de théories hasardées.
Une certaine règle était acceptée. Les traditions étaient aussi plus respectées.
Ce n'est pas ici qu'il convient de discuter et de décider si cet état de choses
et d'esprit était meilleur ou pire. Les deux thèses, pour ou contre Rome, peuvent s'affronter.
Chacune a ses partisans, qui peuvent se jeter à la tête des
noms qui ne prouveront qu'un fait bien connu : c'est que « l'esprit souffle où il veut »
et que ce n'est pas d'avoir le prix de Rome ou de ne l'avoir pas qui fait éclore le génie ou
qui peut l'éteindre.
Le génie devine tout. Il « invente ». Il s'accommode de tous les enseignements;
il y puise la substance nécessaire à son développement et a tôt fait de s'affranchir de règles
trop étroites qui entravent son essor.
Mais il s'agit rarement de génie. Ce n'est pas à son intention, après tout, que sont
créées les écoles. Et le Prix de Rome n'est pas la consécration du génie. Ce n'est ni une fin,
ni un but en soi et l'erreur est, peut-être, d'accorder un tel prestige au lauréat
et de lui conserver toute
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sa vie le bénéfice de ce titre, même s'il n'a rien fait pour accroître son propre mérite.
Il n'est qu'une étape dans la carrière, une sorte de classement de valeurs relatives,
un encouragement à mieux faire ou encore, un diplôme de fin d'études, de certaines études
que nul n'est obligé de poursuivre jusque là.
C'est un moyen, un excellent moyen, donne à ceux qui ont le goût
de la tradition de s'en instruire, d'y puiser, en même temps que dans la Nature et dans la Vie,
les leçons qui peuvent le mieux les aider à exprimer leurs propres sentiments.
S'ils sont vraiment doués de personnalité, quel mal pourra leur faire cette existence,
loin du bruit et de la mode, à l'abri du besoin pressant, parfois si nuisible,
au milieu des souvenirs et des chefs-d'œuvre des civilisations disparues, dans une atmosphère,
de lumière et de beauté ? Et s'ils ne sont capables d'autre chose que de devenir de bons
artisans, comme beaucoup, en quoi une vie plus libre leur profiterait-elle mieux ?
Ils n'en deviendraient pas plus originaux pour cela, car il est aussi facile, sinon plus,
de devenir le pompier de
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la révolte que le pompier de la tradition.
Tel qu'il est, le Prix de Rome serait plus ou moins rétabli, dès qu'il aurait été
supprimé ceux-là mêmes qui l'auraient le plus ardemment combattu; ce qu'il est bon
d'en réformer tenant plus aux hommes, aux préjugés, aux fatales routines déformantes,
qu'à l'institution elle-même.
Et puis, que ceux que leur nature, leur goût entraînent vers un autre idéal cherchent
ailleurs leur voie. Qu'ils n'encombrent pas les rangs et n'y fassent pas figure de victimes ou de
révoltés pour la simple gloriole d'un titre vain.
Mais, laissons ces considérations. Si je les ai abordées ici, c'est que Merson a gardé,
toute sa vie, un souvenir profond et reconnaissant de son séjour à la Villa, tout en s'étant efforcé,
dans ses longues années d'enseignement, de corriger les abus qu'il était le premier à reconnaître.
Merson obtint donc le prix.
* * *
Il était jeune, il avait à peine dépassé la vingtième année.
C'était, nous l'avons dit, la première fois qu'il entrait en loge.
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Ce fut un beau succès, une surprise, une révélation.
C'est que ce tableau., « le soldat de Marathon »,
ce devoir de bon élève,
avec toute son inexpérience, accusait déjà une forte personnalité, et, pour dire
le mot qui éclairera toute sa carrière, une intelligence.
Ici, le drame s'explique clairement, à l'instant pathétique indiqué par le programme.
Tous les acteurs concourent à le renforcer, à l'accentuer. Ils expriment en attitudes et gestes
précis, la surprise, l'émotion, la joie que cause la nouvelle annoncée par le soldat expirant.
Les sentiments dépeints sont tels qu'en tous temps, en tout pays, un événement pareil
pourrait susciter.
D'autre part, le métier s'y montre déjà en, certaines parties accompli.
On découvre aisément dans cette première oeuvre, cette aptitude que conserva
toujours son auteur, à trouver le geste expressif, exempt de banalité et tout personnel
(parce que basé sur l'observation de la vie). Ce souci du détail juste et pittoresque,
on pourrait dire « explicatif»,
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