Histoire
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Vol : Survol du Mans, Château-Gontier. Atterrissage au Lieu-dit Brèche-Blanc, Commune de Bourron, canton de Savenay.
«Ce ballon emportait les instruments nécessaires pour permettre à M. Janssen d'observer en Algérie une éclipse de soleil. On a beaucoup parlé de l'expédition de M. Janssen, et de la prévoyance du gouvernement de Paris qui, dans un moment aussi difficile, trouvait le temps de songer à la future éclipse de soleil, et envoyait un astronome pour l'étudier. Certes, dans les temps habituels, il est intéressant de s'occuper de ce qui se passe dans le ciel et je n'y trouve pas à redire. Mais à l'époque où nous étions - c'est mon avis du moins - il eût peut-être mieux valu laisser le soleil faire ses évolutions et regarder à nos pieds. Tout en rendant hommage à la pensée courageuse qui avait poussé M. Janssen à sortir de Paris en ballon, j'eusse préféré voir arriver à la place et au lieu de son bagage astronomique, des sacs de dépêches et une cage de pigeons. Son voyage a été inutile ; mais alors même que ce savant eût pu découvrir, grâce à l'éclipse de soleil, des montagnes de merveilles, je vous demande que le moindre pigeon eût bien mieux fait mon affaire et celle de la Délégation. Que M. Janssen me pardonne de le faire passer après un volatile, mais je suis un indigne et mon appréciation ne peut pas l'atteindre.» (F.-F. Steenackers)
A son arrivée, M. Janssen se rendit à Nantes, puis à Bordeaux et enfin à Marseille où il embarqua pour Oran.
Récit de Gaston Tissandier :
M. Janssen emportait avec lui les instruments nécessaires pour observer en Algérie l'éclipse de soleil.
Ainsi, pendant que l'étranger souillait par sa présence et ses ravages le sol de la patrie, l'Académie des sciences, restant en dehors de ces monstruosités
sociales, portait toujours ses regards vers les grands problèmes de la science.
Nous croyons devoir reproduire les nobles paroles de M. Dumas, secrétaire
perpétuel de l'Académie des sciences, au sujet de l'expédition scientifique
organisée pendant le siège.
Dans la séance du 5 décembre 1870, voici comment s'est exprimé l'illustre
secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences: «Une éclipse de soleil, totale pour une partie de l'Algérie, aura lieu le 27
décembre. M. Janssen, si célèbre par les belles découvertes qu'il a effectuées
dans l'Inde, à l'occasion de l'éclipse de 1868, était naturellement désigné de
nouveau, pour compléter ses observations, au patronage et au concours du bureau des longitudes et de l'Académie, qui, avec l'autorisation de M. le ministre de
l'instruction publique, se sont empressés de les lui accorder.
«M. Janssen est parti de Paris, vendredi à 5 heures du matin, par un ballon spécial: le Volta. L'administration avait bien voulu se mettre entièrement à sa disposition; cet appareil n'emportait que le savant, les
instruments de la science, et le marin chargé de la manoeuvre. Notre confrère,
M. Charles Deville et moi, nous assistions au départ de M. Janssen, soit pour l'aider dans ses derniers apprêts, soit pour lui donner une preuve de plus de
l'intérêt que l'Académie porte à ses travaux. L'ascension, grâce aux précautions minutieuses de M. Godard aîné, s'est accomplie dans les meilleures conditions, et la direction excellente prise par l'aérostat, doit faire espérer le succès
d'une expédition que menacent, il est vrai, des périls de plus d'un genre.
«Les secrétaires perpétuels de l'Académie, il est utile de le déclarer
publiquement, se portant garants du caractère absolument scientifique de
l'expédition et de la parfaite loyauté de M. Janssen, l'ont recommandé
officiellement à la protection et à la bienveillance des autorités et des amis
de la science, en quelque lien que les chances du voyage l'aient dirigé. Il fut
un temps, où ce témoignage aurait suffi pour lui assurer un accueil
chevaleresque dans les lignes ennemies. On nous a appris le doute sur ce point. Aussi chacun a-t-il compris que des rigueurs et des menaces, non justifiées par les lois de la guerre, aient fait à M. Janssen comme un devoir de compter sur son propre courage et non sur la générosité d'autrui. Je suis entouré de témoins qui peuvent attester, cependant, qu'en pleine guerre, en 1813, Davy, un Anglais, recevait, dans ce palais même, l'hospitalité de la France, comme un hommage rendu au génie et aux droits supérieurs de la civilisation.
«En suivant du regard notre digne missionnaire dans l'espace, où il se
perdait peu à peu, j'ai senti ce souvenir se réveiller et renouveler en moi le
besoin de protester, soit au nom de la science, soit au nom des principes
eux-mêmes, contre tout empêchement qui pourrait être mis à son expédition. Deux inventions françaises, liées aux gloires de l'Académie, ont concouru aux
opérations de la défense: les ballons que Paris investi expédie, les dépêches
microscopiques qui lui reviennent sur l'aile des pigeons.
«La décision prise par le comte de Bismark de renvoyer devant un conseil de guerre les personnes qui, montées dans les ballons, auront, sans autorisation préalable, franchi les lignes ennemies, intéresse donc l'Académie. Elle ne saurait accepter que des opérations soient punissables parce qu'elles reposent sur des principes scientifiques nouveaux; que l'homme dévoué qui, dans l'intérêt de la science, passe au-dessus des lignes prussiennes, soit coupable de
manoeuvre illicite; qu'en donnant, enfin, nos soins à l'aéronautique, nous ayons
contribué nous-mêmes à fabriquer des engins de guerre prohibés.
«Comment! les voies de terre, de fer nous étaient interdites, la voie de
l'air nous restait seule, inconstante et douteuse; elle n'avait jamais été
pratiquée; quoi de plus légitime que son emploi! Nous l'avons conquise par des
procédés méthodiques, et si elle fonctionne régulièrement au profit de nos
armes, où est le délit?
«Que l'ennemi détruise, s'il le peut, nos ballons au passage; qu'il s'empare
de nos aéronautes au moment où ils touchent terre, soit; c'est son intérêt,
c'est chance de guerre. Mais que les personnes, tombant ainsi entre ses mains, soient livrées à une cour martiale, au loin, en pays ennemi, comme des
criminels, c'est un abus de la force....
«Dans Syracuse assiégée, Archimède opposant aussi aux efforts de l'ennemi toutes les ressources de la science de son temps, rendait pour les Romains
l'attaque de plus en plus meurtrière. Marcellus, loin de lui faire un crime
d'avoir prolongé la défense par ses inventions, ordonna que la vie de ce grand homme fût respectée, et, plein de regret pour sa mort fortuite, entoura sa
famille de soins et d'égards!...»
Ajoutons pour l'honneur de M. Janssen que, lors de son départ, il apprit que les savants anglais lui offraient un laisser-passer à travers les lignes
prussiennes, M. Janssen refusa; il préféra ne rien devoir à l'ennemi de son
pays, et il aima mieux risquer les chances du voyage aérien! |