TENTATIVES DE RETABLISSEMENT DES COMMUNICATIONS TELEGRAPHIQUES ENTRE PARIS ET LES DEPARTEMENTS
« Parti de Tours le 8 novembre 1870, je suis arrivé le 9 à Montargis, et dans la soirée du même jour à Augerville,
chez M. Berryer.
Le 10 au matin, j'étais à Malesherbes, où le maire, malgré ma commission et le témoignage de deux personnes, me retint
prisonnier pendant cinq heures.
Le 11, je suis parti de Fontainebleau pour Ponthierry et Juvisy.
« Le câble de Juvisy se raccorde avec les fils aériens des voies ferrées au pont des Belles-Fontaines : ce pont est divisé en
deux parties, l'une sur l'Orge, de l'autre sur le chemin de fer.
« A peine arrivé à Juvisy, je fus arrêté par une sentinelle bavaroise et conduit chez le colonel Besles ou Vesles du 62
régiment d'infanterie. Après trois quarts d'heure, je fus relâché et autorisé à aller plus loin.
« Mon opération consistait à retrouver le câble, en faisant une tranchée sur la route nationale, à briser les tuyaux de plomb
qui le renfermaient, et à réunir un des fils avec le mien. J'avais emporté à cet effet 600 mètres de fils recouverts de gutta-percha,
un manipulateur, une pile et un parleur.
« Le 11 novembre, la journée était trop avancée pour me permettre autre chose qu'une rapide inspection des lieux.
« le 12, espérant aller plus loin, j'acceptai l'offre de M. le docteur Biez de Ponthierry, et nous partîmes pour Nounay,
voulant de là aller au-dessus du pont des Belles-Fontaines par Savigny-sur-Orge.
Malheureusement nous fûmes faits prisonniers toute la journée, par 88 hussards de la mort, parmi lesquels se trouvait le lieutenant
polonais Comte Ignace Mycielski, qui ne nous dissimulait pas combien il était triste pour lui d'être forcé de se battre contre la
France.
« Le 13, j'arrivai à la Cour-de-France. À la première inspection des lieux, je pus me convaincre que l'opération, telle qu'elle
avait été décidée, était tout à fait impossible.
Cette route, servant de passage aux troupes prussiennes, était sillonnée de détachements, de voitures, de soldats isolés.
« Je voulus essayer alors de faire une tranchée horizontale, en profitant pour cela d'une des maisons qui bordent la route.
Je les visitai toutes, et je pus me convaincre que de 150 à 500 mètres environ du pont des Belles-Fontaines et du côté droit de la
route en se dirigeant sur Paris, il n'y avait pas une seule maison qui ne fût occupée par des soldats ennemis.
De 500 à 1500, les maisons, plus distancé, étaient aussi occupés.
Je fus forcé de rentrer à Essonnes, sans tenter ce second moyen, aussi impossible que le premier.
« Le 14, grâce à l'extrême obligeance de M. Feray d'Essonnes, et du secrétaire de la mairie M. Hériard, je pus longer toute
la voie ferrée depuis Corbeil.
Je n'avais plus qu'un espoir, suivre les fils aériens jusqu'au point de raccordement avec le câble, et faire, sur l'un des fils
trouvés bons, une tentative de raccordement avec mon fil.
Je ne pus malheureusement visiter la voie ferrée sur mon parcours d'environ 2 kilomètres, depuis la gare de Juvisy jusqu'au pont des
Belles-Fontaines.
Je dus donc renoncer à cette opération qui, du reste, n'aurait pu réussir, car la gare de Juvisy était horriblement saccagée.
« Je voulus alors aller du côté de Savigny-sur-Orge : je devais d'abord m'assurer de l'état des guérites placées sous le pont.
Après bien des tentatives, rendues très dangereuses par la présence de cinq sentinelles qui dominaient ce point, je vis que la
guérite de gauche était à l'extérieur tout à fait intacte, tandis que celle de droite était en partie brisée.
Je fus forcé, à cause de la nuit, de rester à Ris-Orangis.
« Le 15 novembre, je suivis la voie ferrée du pont des Belles-Fontaines à Savigny-sur-Orge ; du côté droit de la voie,
pas un endroit favorable pour tenter mon opération ;
du côté gauche, au contraire, se trouvaient plusieurs maisons avec grands jardins et murs très élevés, bordant la voie ferrée.
Les fils commençaient précisément là à être brisés, je les jetai sur le mur, et, après avoir été inquiété deux fois par des paysans,
arrivai à les isoler et à les préparer pour une expérience. J'obtins ainsi quatre fils placés au sommet des poteaux aboutissant aux
guérites, et en parfait état jusqu'au câble. Je revins aussitôt à Ris-Orangis pour prendre mes appareils lorsque le maire de cette
localité, M. Drieux, serrurier, m'affirma qu'il avait vu auprès de Villejuif une large tranchée de six mètres, très profonde, et que
le câble avait été brisé en cet endroit. Devant cette affirmation, confirmée par plusieurs personnes, toutes tentatives devenaient
inutiles. Je fus donc forcé de rentrer à Tours.
« Le 18 novembre, j'étais de retour, après avoir transmis le 17 de Montargis une longue dépêche, donnant des renseignements
complets sur la marche des troupes allemandes.
J'informai le ministre de la guerre de l'arrivée prochaine à Orléans d'un renfort de 50,000 hommes, venant de différents côtés.
« Mes tentatives n'ont amené aucun résultat, car elles auraient dû être faites cinquante jours avant, quand j'ai exprimé le
désir à la Direction générale à Paris franchir à pied les lignes prussiennes. Au 10 novembre, les ennemis occupaient presque depuis
deux mois tout le pays, et les habitants avaient presque tous quitté leur domicile.
Je fus forcé de laisser à Ris-Orangis le matériel que j'avais emporté .... »
in F.-F. Steenackers, Les télégraphes et les postes pendant
la guerre de 1870-1871 (pages 109-112) |