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La Commune de 1871 : La destruction de la colonne Vendôme(in « Mes cahiers rouges au temps de la commune » par Maxime Vuillaume.) Place Vendôme, mardi 16 mai 1871.Une foule énorme emplit la rue de la Paix. Droite dans le ciel d'une pureté superbe - un ciel de floréal - la colonne se dresse. Le drapeau rouge, fixé à la balustrade, caresse mollement la face de César. Un triple cordage pend du sommet, se rattachant au cabestan qui, tout à l'heure, va tourner et attirer à lui le monument. Un grondement s'élève de la foule. Est-ce déjà la dernière heure de la colonne? - Filons vite, me dit Vermersch. On dirait que ça remue ! Pas à pas nous avançons à travers la masse humaine. Nous écoutons ce que disent nos voisins. Peu de gens récriminent. La note dominante est la crainte de voir s'effondrer quelque chose. - Ça va crever l'égout de la rue de la Paix! - Si ça démolissait les maisons de la place! De la colonne, de Napoléon, de la Grande Armée, d'Austerlitz, rien. Les boutiques sont fermées. Collées sur les carreaux, de longues bandes de papier en croix, pour amortir les vibrations. Enfin, nous arrivons à la barricade qui ferme la place. Nous présentons nos cartes à la sentinelle. J'examine à mon aise le cabestan, retenu au sol par une ancre, et les deux poulies sur lesquelles s'enroulent les cordages fixés au sommet. Quant à la colonne elle-même, j'ai grimpé la veille encore sur son piédestal. Le projet des entrepreneurs de la démolition est fort simple. La colonne coupée « en sifflet » au ras du fût, du côté de la rue de la Paix, a été sciée du côté opposé. L'entaille et la partie sciée représentent, à peu de chose près, l'épaisseur du tube de pierre - et non de bronze, le bronze ne formant qu'un mince revêtement. Par la manoeuvre du cabestan, la colonne doit céder à sa base, et tomber sur le lit de fascines et de fumier qui a été préparé au-dessous d'elle. La colonne, n'ayant que trente-quatre mètres de hauteur, ne peut, renversée, atteindre l'entrée de la rue de la Paix. La barricade traversée, nous nous dirigeons vers le ministère de la Justice. Nous avons là nos meilleurs amis. Chaque matin, à peu près, j'y vais déjeuner. Le couvert est mis dans la salle du premier étage qui s'éclaire sur la place. Accrochée à l'un des panneaux, une toile de Daubigny, un champ d'épis mûrs que sape une belle fille, avec un ciel très bas et un bouquet d'arbres. - Un beau jour, je roulerai ce Daubigny, et je l'emporterai, disais-je en riant à Protot, qui présidait la table. César écrouléIl y a foule dans la grande salle du ministère. Le balcon est déjà tout occupé. Par les fenêtres, largement ouvertes, la place apparaît, grouillante d'uniformes. Le soleil brûle les pavés. Debout, appuyé contre la grille de la colonne, un jeune commandant d'un des multiples bataillons de Vengeurs, de Défenseurs, ou de Turcos. Pantalon rouge, képi rouge, vareuse rouge, sur lquelle scintillent une triple rangée d'aiguillettes d'or.Aux angles de la place, des musiques, dont les cuivres étincellent. Au-dessous de nous, cinq ou six membres de la Commune. Miot, avec sa haute taille et sa longue barbe blanche. Ferré, tout petit, le masque envahi par la barbe noire, le nez busqué, deux yeux noirs, noirs, très doux, qui brillent cependant, derrière le lorgnon, d'une flamme étrange. - Encore quelques coups de scie, commnande l'un d'eux. Et la scie recommence à entamer la pierre. Un léger nuage blanc s'échappe. - Ça va bien... On peut tirer... Trois heures et demie. On tire. Crac... Le cabestan cède. Les cordes se détendent ... Murmures de déception. On dit qu'il y a des blessés ... On va chercher d'autres poulies... Une grande heure d'attente. Et l'on roule, dans un coin de la place, à l'abri, la lunette de l'astronome en plein vent, oubliée là, et qui allait être écrasée, elle aussi, bien innocente cependant. Cinq heures un quart. Sur le piédestal, des hommes enfoncent des coins dans la blessure, au pied du fût. Le monstre résiste. Les musiques, pour faire prendre patience à la foule, jouent la Marseillaise. La rue de Castiglione, la rue de la Paix sont pleines de têtes qu'on aperçoit, groillantes, derrière les barricades. Les musiques se taisent brusquement. Un officier paraît là-haut, sur la plate-forme. Il enlève le drapeau rouge, qu'il remplace par un tricolore. Un frisson court dans mes veines. Il me semble voir osciller la colonne. L'officier a disparu. Il descend l'escalier. Si, à cette minute, elle tombait avec lui! Mais le voici. Je pousse comme un soupir de soulagement. Quelle folie m'a traversé la cervelle! Ah 1 elle est encore solide. Pour sûr, le câble va encore une fois se tendre en vain... Devant mes yeux passe subitement comme le battement d'aile d'un oiseau gigantesque... Un zigzag monstrueux... Ah ! je ne l'oublierai jamais, cette ombre colossale qui traversa ma prunelle!... Blouf !... Un nuage de poussière... Tout est fini... La colonne est à terre, ouverte, ses entrailles de pierres au vent... César est couché sur le dos, décapité. La tête, couronnée de lauriers, a roulé, tel un potiron, jusqu'à la bordure du trottoir. Rencontre avec Courbet, quatre ans plus tardUn jour de mai 1875, j'étais allé voir Élisée Reclus à Vevey. Le savant m'avait retenu à sa table. Les déjeuners ne se prolongeaient guère chez lui. Une demi-heure de causerie rapide . Une bonne poignée de main, et au large. Dans la salle du bas on bûchait ferme. La Géographie universelle dont les deux premiers volumes seuls étaient publliés, réclamait tous les instants du proscrit. Dans la rue, je croise mon ami Slom, ancien secrétaire de Rigault. - Viens-tu avec moi à la Tour de Peilz? me dit Slom en m'abordant. Nous irons prendre Courbet et nous passerons la journée ensemble. Nous filons sur la Tour de Peilz, où s'est réfugié le grand artiste, que poursuivent à Paris des haines féroces. - Ohé ! déboulonneur ! lui crie Slom dès que nous eûmes passé la porte du jardin de la petite maison de la Tour de Peilz. Courbet ne se retourne pas. Il se contente de jeter dans le silence de la belle après-midi son large rire. Nous voyons émerger, à travers les feuilles, un vaste dos, autour duquel bouffe une chemise découverte sur un cou de taureau. Courbet peint, la pipe à la bouche, assis sur un tabouret, en face du lac. Deux on trois amis sont là. - Déboulonneur ! déboulonneur ! Quelle bonne blague ! Eh bien! oui, j'aidemandé qu'on la déboulonne. Vous entendez : déboulonner. Et non pas la foutre à bas. La déboulonner! Courbet faisait ici allusion à la pétition qu'il adressait, le 14 septembre 1870, au gouvernement de la Défense nationale, émettant le voeu - nous tenons à reproduire intégralement ce texte - que le gouvernement de la Défense nationale veuille bien l'autoriser « à déboulonner la colonne, ou qu'il veuille bien lui-même en prendre l'initiative, en chargeant de ce soin l'administration du Musée d'artillerie, et en faisant transporter les matériaux à l'hôtel de la Monnaie ». - La déboulonner! continue Courbet. Est-ce que vous ne croyiez pas alors comme moi, et comme tout le monde, que la colonne n'était qu'un gigantesque tuyau de bronze? On nous avait tant vanté les douze cents canons d'Austerlitz ! Ah ! bien oui ! tout en bronze ! Vous l'avez bien vue, quand elle a été par terre. Il n'y en avait pas l'épaisseur d'un ongle. A tel point que les nez des grenadiers laissaient percer la pierre. Douze cents canons pour une méchante feuille de métal! Et Courbet, après un moment de silence, nous raconte une histoire étrange, que je regrette de n'avoir point notée à temps, afin d'en retrouver aujourd'hui les détails exacts avec chiffres et dates. - Leur colonne ! nous disait-il en s'anirnant. Eh bien! moi, je voulais la reconstruire... Et mieux qu'ils ne l'ont fait, et moins cher. j'en avais bien le droit, puisque je la paye tout seul. Car je la Paye avec mes tableaux qu'ils séquestrent et vendent. Avant de venir ici, après que l'on m'eut notifié na première saisie, je suis allé au ministère, et j'ai offert de refaire la colonne sur les plans qui me seraient fournis. On m'a renvoyé aux entrepreneurs. L'histoire devenait intéressante. - J'avais fait un devis, continuait l'artiste. Mais quand ils me montrèrent ce qu'ils avaient dépensé pour les seuls échafaudages, mon chiffre était déjà dépassé. Je les quittai, et je retournai raconter cela au ministre. Aujourd'hui, c'est fini... Le procès de membres de la CommuneLe 14 août 1871 lors du procès des membres de la Commune, Courbet, justifiait ainsi ses actes :Le président. - Il paraît que la colonne Vendôme vous était particulièrement désagréable. Dès le 14 septembre (1870), vous en demandiez la démolition. Courbet. - ... Pour moi, cette colonne obstruait. Un individu n'a pas le droit d'entraver la circulation. Cette colonne était mai placée... Moi le ne considérais la chose qu'au point de vue plastique. je n'avais aucune haine contre la colonne, puisque mon oncle a été un des officiers du premier Empire; mais le voulais la mettre ailleurs, où elle fut mieux en vue. je voulais la déboulonner. Si vous aviez fait attention, au point de vue de l'art, à cette colonne, vous auriez été de mon avis. C'était une mauvaise reproduction de la colonne Trajane. C'était de la sculpture comme un enfant en ferait. Pas de perspective. Rien. Les figures sont absolument grotesques. Le président. - C'est alors un zèle artistique, tout simplement, qui vous poussait à en vouloir à cette colonne. Courbet. - Tout simplement. Sur la place Vendôme c'était une prétention malheureuse d'oeuvre d'art qui faisait rire les étrangers. Aux Invalides, c'était autre chose. C'était un souvenir militaire qui n'avait pas besoin d'être artistique. |