Ballon en étoffe jaune
Récit de Gaston Tissandier :
Le double départ de l'Armand Barbès et du George Sand s'est
effectué dans des conditions assez dramatiques, comme l'ont raconté les journaux
de Paris. Nous cédons la parole au Gaulois du 7 octobre qui a donné des
détails curieux sur ces mémorables ascensions:
«Une foule énorme attendait ce matin, sur la place Saint-Pierre à Montmartre,
le départ des ballons l'Armand Barbès et le George Sand, ce
n'était pas un vain sentiment de curiosité qui excitait l'avide anxiété de cette
population; on venait d'apprendre que chacun de ces aérostats emportait des
voyageurs entreprenant courageusement ce périlleux voyage avec d'importantes
missions.
«Dans la nacelle de l'Armand Barbès, conduit par M. Trichet, prirent
place Gambetta et son secrétaire Spuller; dans celle du George Sand,
dirigé par M. Revilliod, montèrent MM. May et Raynold, citoyens américains,
chargés d'une mission spéciale pour le gouvernement de la défense, et un
sous-préfet.
«On remarquait dans l'enceinte Charles et Louis Blanc, MM. Rampont et Charles
Ferry, et le colonel Husquin.
«MM. Nadar, Dartois, et Yon dirigeaient, avec l'autorité et l'entrain qu'on
leur connaît, le double départ.
«Les dernières poignées de main échangées au milieu de l'émotion générale, au
cri de «lâchez tout!» les deux ballons s'élevèrent majestueusement.
«Il était onze heures dix minutes.
«Une immense clameur de: «Vive la République!» retentit sur la place et sur
la butte; les hardis voyageurs agitaient leurs chapeaux et leurs voix répétaient
comme un écho lointain le cri de la foule.
«Par une illusion d'optique, lorsque les ballons franchirent la butte
Montmartre, ils se dirigeaient vers le nord-est, l'on crut qu'ils descendaient
et allaient échouer dans la plaine. La foule désespérée, anxieuse, tumultueuse,
escalada la butte. Les factionnaires marins eurent toutes les peines du monde à
la retenir: il fallut qu'elle vit les deux ballons continuer leur route poussés
par un vent qui (d'après les observations faites) filait dix lieues à
l'heure.
«On attend impatiemment le retour des pigeons voyageurs qui nous diront où
les deux aérostats ont atterri.»
Le Moniteur universel du 10 octobre (édition de Tours) :
«Le voyage ... a été marqué par moins de péripéties [que celui de l'Armand Barbès]. Après avoir essuyé la première fusillade, il a pu se maintenir à une assez grande hauteur
pour éviter un nouveau danger de ce genre; il est allé descendre, à 4 heures, à Crémery près de Roye, dont les habitants ont très-bien accueilli les voyageurs.
M. Bertin, fabricant de sucre et maire de Roye, a donné l'hospitalité pour la
nuit à l'aéronaute; son adjoint a logé chez lui les deux Américains.
«Le lendemain, samedi, l'équipage du second ballon rejoignait celui du
premier à Amiens, et l'on partait ensuite de cette ville à midi. A Rouen, où
l'on arriva ensuite, M. Gambetta fut reçu par la garde nationale, et prononça un
discours qui excita l'enthousiasme. De Rouen, M. le ministre et ses compagnons de route se dirigèrent sur le Mans; ils y couchèrent, et en partirent le
lendemain, dimanche, à 10 heures et demie.»
|